« Place aux paysannes »

Pour cette nouvelle édition 2023 de Lurrama, nous avons décidé de mettre à l’honneur les paysannes en choisissant le thème « Place aux paysannes ».
- Pourquoi mettre les paysannes à l’honneur?
Les différentes causes féministes sont de plus en plus sur le devant de la scène et notamment l’égalité femmes-hommes. Même si des évolutions sont réelles, les inégalités persistent que ce soit dans le monde du travail, la sphère domestique ou l’espace public. L’égalité femmes-hommes a d’ailleurs été déclarée grande cause du quinquennat. Quelques chiffres à titre d’exemples.
Concernant le monde de l’emploi, le revenu salarial des femmes reste en moyenne inférieur de 22 % à celui des hommes (INSEE). Dans la sphère privée, les femmes consacrent environ 1h30 par jour de plus que les hommes aux tâches domestiques et familiales (INSEE). Enfin, dans l’espace public, seulement 19 % des experts interrogés dans les médias sont des femmes (OXFAM) .
Cependant, les mentalités évoluent et des avancées sont notables.
Le monde paysan, comme le reste de la société, a été lui aussi le lieu d’inégalités entre les femmes et les hommes. Il connaît depuis quelques années d’importants changements quant à ces questions. Les femmes sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses à se tourner vers les professions agricoles. En France, elles représentent aujourd’hui 1/4 des chefs d’exploitation.
Un travail de déconstruction des stéréotypes de genre et de « visibilisation » des femmes est essentiel pour continuer à modifier en profondeur mentalités et comportements. Pour ces raisons, il nous a semblé important de participer à notre façon à ce mouvement en mettant à l’honneur les paysannes et cela afin de contribuer à changer les regards et les pratiques.
- « Place aux paysannes ! »
« Place » comme espace accordé en termes de droits, rôles, responsabilités mais aussi en termes de visibilité.
Les paysannes ont toujours occupé une place importante dans le monde agricole, mais une place parfois peu visible doublée d’une légitimité peu reconnue. Comme le montre la BD au titre évocateur « Il est où le patron ?» des Paysannes en polaire, les représentations minimisant leurs rôles et les considérant encore comme des « aides » sont encore bien prégnantes alors que 62% des femmes agricultrices sont chefs exploitantes, co-exploitantes ou associées.
En ce qui concerne leurs droits, il a fallu attendre 198O pour qu’un premier statut, de « conjoint participant aux travaux », leur soit accordé. Statut ou sous statut quand on sait qu’en réalité leur place était d’une importance égale dans la ferme ! Ce n’est ensuite qu’en 2010 que l’égalité de statut a été possible avec la création de GAEC entre époux. Les paysannes ont dû attendre 2008 pour obtenir la même durée de congé maternité que dans le régime général des salariés. Et ce n’est qu’en 2012 que devint obligatoire la candidature de 30 % de femmes sur les listes électorales aux chambres d’agriculture.
Il y a encore du chemin à parcourir, notamment concernant leur statut, leurs droits sociaux (retraites..), leur place dans les instances et le regard porté sur elles, notamment dans la profession.
Même si des freins existent, partout dans le monde, des paysannes prennent leur destin en main et revendiquent leur place que ce soit dans la sphère professionnelle ou dans l’espace public.
Dans les instances militantes et politiques, les femmes sont bien présentes et des générations de jeunes paysannes viennent enrichir les rangs des syndicats. Par exemple, la commission femme de la Confédération paysanne milite pour l’égalité des droits, le statut unique femme-homme, la reconnaissance et la représentation des femmes dans le milieu agricole, mais aussi contre les discriminations, agressions sexistes et les violences faites aux femmes. Elle offre un lieu de débat, d’avancée pour la cause féministe. Les témoignages de ce groupe montrent qu’alors que les stéréotypes de genre sont très présents dans le milieu paysan qui repose historiquement sur la force physique, les femmes sont souvent des forces motrices pour le développement de nouvelles activités. Elles apportent leurs spécificités et leurs savoir-faire innovants dans les pratiques. Et tout ceci en essayant de lutter contre une forme de patriarcat qui impose un modèle capitaliste et industriel à l’origine de nombreuses inégalités sociales.
- Les paysannes au Pays basque Nord
Au plus près de nous, sur notre territoire, jusque dans les années 60-70, les femmes occupaient, au même titre que les hommes, une place prépondérante dans l’équilibre et le fonctionnement des fermes. Le métier, synonyme de mode de vie, était naturellement porté par le couple.
Le métier d’agriculteur se professionnalisant, l’apparition de statut et ses obligations (charges sociales, fiscales et comptables, etc), couplé à un mouvement d’émancipation, les femmes se sont progressivement éloignées de la ferme familiale et ont mené des activités hors de celle-ci. En même temps, beaucoup d’entre elles ont continué aussi à travailler sur la ferme mais sans statut. Depuis cette dernière décennie, nous observons un retour des femmes en agriculture, de manière officielle. Avec la diversification des systèmes d’exploitation, la constitution des Gaec entre époux, la transformation à la ferme, etc, le nombre d’installation de femmes en agriculture ne cesse d’augmenter : au Pays basque Nord, en 2010 elles ne représentaient que 25 % des installations, en 2022 elles sont 38 % !
Dans l’imaginaire collectif, un agriculteur est souvent un homme conduisant un tracteur. Alors que les paysannes jouent un rôle essentiel dans la conduite des fermes et que la répartition des tâches entre les hommes et les femmes peut-être très variée.
Enfin, les paysannes sont fortement impliquées dans la mise en place du projet d’agriculture paysanne. Généralement porteuses de projets d’installations innovants (atelier de transformation, diversification, accueil, etc), elles participent à l’enrichissement et la durabilité du secteur agricole. C’est tout naturellement que nous retrouvons de nombreuses femmes, dans les instances de développements paysans (syndicats, commités, structures collectives).
D’ailleurs, ne sommes nous pas reconnaissant(e)s aux femmes d’avoir bousculé et acculé les hommes lors de la création du syndicat paysan ELB en 1982, ouvrant ainsi la voie du développement et de la défense de l’agriculture paysanne, en se libérant de la FDSEA ?
- Les paysannes dans le monde
Au niveau mondial, les travaux de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) montrent qu’en ce qui concerne l’accès à la terre, aux intrants, aux services, aux financements et aux technologies numériques, les femmes continuent d’accuser du retard par rapport aux hommes. Dans nombre de pays, il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une situation où les femmes seraient aussi nombreuses que les hommes à posséder des terres et où leurs droits seraient protégés par des cadres juridiques. Il est alarmant de voir à quel point les disparités entre femmes et hommes sur les plans de l’accès aux services de vulgarisation et à l’irrigation et de la possession de bétail ont peu reculé au cours de la dernière décennie. Pourtant, accroître l’autonomisation des femmes est essentiel pour leur bien-être et a un effet positif sur la production agricole, la sécurité alimentaire et la qualité de l’alimentation ainsi que sur la nutrition infantile.
Ces évolutions nous semblent possibles si paysans et paysannes avancent ensemble. Comme le disait la représentante du Mouvement des Sans Terre du Brésil lors du rassemblement de Via Campesina à Porto: « Lorsqu’une femme avance, aucun homme ne recule ».
En choisissant ce thème, nous souhaitons donc donner plus de visibilité et de reconnaissance à celles qui représentent tout de même 30 % des effectifs paysans. Cette édition sera l’occasion de les mettre en lumière et de réfléchir à leurs rôles, leurs engagements, leurs compétences et leurs spécificités.
Nous sommes fiers(res) de leur rendre hommage et de les mettre à l’honneur et de leur donner la pleine place qui leur revient.